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Le Printemps Arabe en Egypte

« L’Egypte, votre mémoire l’exige ! » : cette phrase fut un des slogans utilisés par les autorités égyptiennes chargées de la gestion du tourisme au cours de l’automne 1994. Elle fut, de ce fait, le fer de lance des campagnes publicitaires égyptiennes mises en place en Europe, et notamment en France. Cette référence démontre parfaitement la très riche et grande histoire égyptienne, qui est également garante de la mémoire de l’Humanité toute entière, de par son architecture et ses savants antiques par exemple. Le pays est bien plus encore, aussi bien un acteur majeur sur la scène méditerranéenne que ce que l’on pourrait considérer comme le plus grand pays arabe qui existe au sein du monde musulman.

C’est durant ce passé très lointain à notre échelle qu’un pouvoir monarchique, extrêmement hiérarchisé mais aussi centralisé, va être instauré, avec une place très conséquente laissée à la religion au sein du pouvoir et de la société. Les régimes autoritaires et monarchiques se succéderont durant l’histoire égyptienne, entrecoupée d’occupations coloniales puis finalement de la mise en place d’un système républicain lui aussi particulièrement autoritaire.

Le basculement dans la révolution

Le destin de l’Egypte contemporaine, aujourd’hui peuplée de plus de 90 millions d’habitants, bascule entre le mardi 25 janvier 2011 et le vendredi 11 février 2011. Au cours de ces dix-huit jours, le peuple égyptien va se soulever afin de contraindre au départ Hosni Moubarak, le président du pays aux commandes d’une dictature depuis presque trente ans. Alors que quelques jours plus tôt, la Tunisie a mené la révolution de Jasmin qui précipitera la chute de Zine el-Abidine Ben Ali, l’Egypte va suivre cet exemple dans le but de renverser son dirigeant de 82 ans. Si le pays a bien connu des avancées notables, le régime très autoritaire et la pauvreté vont être les déclencheurs d’un profond mécontentement généralisé dans le pays, mais aussi d’une volonté du peuple égyptien de retrouver leur dignité.

La révolution égyptienne, impulsée grâce aux réseaux sociaux et à la population de moins de trente ans, majoritaire, va alors être violente, sanglante. La place Tahrir, au Caire, symbole du soulèvement égyptien, sera finalement le témoin de la fuite de son président le 11 février. Et, désormais, la peur qui était dans tous les esprits s’évapore, les verrous qui entravaient toute tentative de rébellion ont sauté, le peuple s’est mis en marche vers la liberté, la démocratie, du moins c’est ce à quoi l’Egypte aspire.

Défier l’autorité ne relève maintenant plus de la rareté. « Le complexe de Pharaon a sauté. Sept mille ans de servitude, de soumission au pouvoir, et, pour la première fois peut-être, une vraie révolution populaire. Les Egyptiens en ont conscience, leur victoire est fragile », expliquent Claude Guibal et Tangi Salaün, respectivement journaliste et correspondant en Egypte, dans leur ouvrage L’Egypte de Tahrir, anatomie d’une révolution.

Ces manifestations révolutionnaires égyptiennes, dont l’épicentre se situe au Caire, vont influencer d’autres populations plus ou moins proches, qu’elles soient maghrébines ou dans la péninsule arabique, avec des résultats à tout le moins très variables. Car l’enthousiasme de ces révolutions arabes sera finalement sévèrement freinée par les autorités étatiques, confrontés à ces mouvements cherchant à chasser ces derniers du pouvoir.

Selon le maître de conférences Bernard Rougier et le chercheur Stéphane Lacroix, c’est une somme de dynamiques distinctes qui a conduit à la révolution durant les mois de janvier et février de l’année 2011, à la fois libérale, syndicale, révolutionnaire, militaire mais également islamiste. Elles ont toutes convergé vers un point de rassemblement qui est devenu le symbole de la révolution, la place Tahrir, et ont permis la réussite du mouvement révolutionnaire égyptien. Toutefois, le bât blesse lorsque vient le moment de s’organiser pour mettre en place un tout nouveau régime, bien davantage démocratique.

Car ces dynamiques ne vont dès lors pas parvenir à trouver un compromis de long terme, s’alliant selon la situation puis s’affrontant en cas de divergence. C’est bien ici que va se jouer l’instabilité politique mais également institutionnelle de l’Egypte : l’enthousiasme des rassemblements du début de l’année 2011, qui se construira par son inventivité et par sa générosité et qui sera relayé dans les médias du monde entier, permettra de concilier les forces de plusieurs dynamiques qui ne parviendront pas à se mettre d’accord sur une base durable par la suite.

L’émergence de forces aux objectifs divergents

Plusieurs forces différentes vont ainsi intégrer le conflit pour mieux l’orienter afin de récupérer un certain bénéfice ; et ceci, en dénonçant particulièrement la corruption et la confiscation des ressources de la part du pouvoir présidentiel pour en faire la cause principale de la situation précaire des égyptiens. Le 28 janvier 2011, comme le notent MM. Rougier et Lacroix dans leur livre baptisé L’Egypte en révolutions, ce sont les « islamistes issus de l’organisation semi-clandestine des Frères musulmans [qui entrent] dans l’arène de la contestation ».

L’Association des Frères musulmans, née en 1928 en Egypte, a fortement contribué à la politisation de l’islam, introduisant « une rupture dans la tradition sunnite en faisant du pouvoir politique l’un des piliers de l’islam » d’après l’encyclopédie Universalis.

De son côté, l’armée, qui avait été évincée de la politique dans les années 1970, va chercher à prendre sa revanche et à modifier l’équilibre des pouvoirs à son avantage. Dans ce but, elle va prôner non pas un bouleversement dans la composante politique égyptienne, sinon un simple changement leur permettant de revenir en force dans le processus politique étatique. Les Frères musulmans et les forces armées, tous deux très conservateurs, vont récupérer à leur profit les mouvements populaires, affaiblissant les forces révolutionnaires – formées par des activistes – qui étaient à l’origine des évènements, et qui ne pourront pas prendre la main lors de la chute d’Hosni Moubarak. Une alliance va alors être effectuée entre les islamistes et les militaires, avantageuse pour les deux camps à plus d’un titre, mettant un terme à la dynamique révolutionnaire, mais également excluant définitivement le retour des soutiens du président renversé et organisant un calendrier institutionnel.

Ce calendrier permit le retour de mobilisations de diverses forces politiques, avec des buts très variés. La situation politique devint alors extrêmement complexe, toutes les forces en présence cherchant à récupérer le pouvoir. Les islamistes gagnèrent les élections législatives, puis Mohamed Morsi devint président grâce à son consensus obtenu entre islamistes et libéraux, évitant le retour d’une personnalité de l’ancien régime, Ahmed Chafiq. Ce compromis fut toutefois bien vite mis de côté.

Mais Mohamed Morsi, accusé d’un excès d’autorité, se verra très vite affaibli, subissant moult pressions. Il sera finalement destitué. L’armée, que Morsi avait tenté d’éloigner du pouvoir, va se replacer au cœur de l’échiquier politique égyptien. Profitant d’une vague populaire opposée aux Frères musulmans, l’armée va porter au pouvoir le général charismatique Abdel Fattah al-Sissi. Cependant, si ce dernier venait à échouer à remettre de l’ordre dans le pays et à redresser économiquement la barre comme cela en prend le chemin, rien n’empêche de croire à un retournement de la population contre l’actuel leader du pouvoir égyptien.

De plus, plusieurs constitutions se sont succédé en quelques années, sans qu’aucune n’ait jusque-là réussi à perdurer. Les pratiques constitutionnelles de l’Egypte ont ainsi été perpétuées. Des évolutions ont cependant eu lieu, comme la dénonciation des violences contre les femmes et des discriminations, de même que l’augmentation des droits socio-économiques.

Toute cette évolution politique a finalement mené l’armée au pouvoir. Si des élections sont toujours tenues, la nature du régime égyptien se doit d’être questionnée. Selon l’encyclopédie Universalis, « la spécificité d’un système démocratique est que les gouvernés sont censés être en même temps des gouvernants, associés aux principales décisions engageant la vie de la cité ». L’Egypte n’est pas plus une démocratie qu’avant, toutefois, il semblerait qu’elle en prenne doucement mais sûrement le chemin…

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